Page d'AccueilVoir les statuts de l'ASAUS2aPourquoi se mobiliser et pourquoi adhérerConditions et règles d'utilisation du blogNous contacter
Message importantTravaux en coursTous nos articles classésTous les commentaires par date de parutionaccès réservé aux membres du CA

Développement de la vie affective et sexuelle des personnes handicapées

Par Raymond Ehrhardt psychiatre.


Plan de l'article :

     - 1. Généralités
     - 2. Les exigences de la pudeur
     - 3. Responsabilités de l’institution
     - 4. A propos du « Droit à la sexualité »
     - 5. Aléas de la vie affective des personnes handicapées mentales
     - 6. Conclusion

1. Généralités

Tenter de comprendre le vécu des personnes handicapées mentales est une gageure. Quelqu’effort de représentation mentale que nous nous en fassions, il nous est difficile d’entrer dans leur corps et dans leur tête.

Nous ne pouvons nous épargner d’évoquer cette population en termes d’objets de notre démarche intellectuelle. Au pire, nous les observons en anthropologues ; au mieux, en éducateurs ou parents substitutifs. Notre position reste toujours celle du fort par rapport au faible, de l’intelligent face au déficient, de celui qui dispose de l’autorité face à celui qui doit la subir.

Individuellement et collectivement au sein de notre société, nous avons une représentation ou plutôt un fantasme de ce qu’est la « normalité » et nous avons établi toutes sortes d’évaluations pour savoir quand et comment on s’en éloigne. Il est donc intéressant de rappeler comment nous envisageons le développement d’un individu qui approcherait cette norme harmonieuse, et nous verrons mieux comment d’autres s’en éloignent dramatiquement. La trajectoire idéale serait donc celle d’un enfant né dans une famille équilibrée où il est désiré par ses géniteurs. La naissance est sans particularité et dans son carnet de santé ne figurent qu’une bonne progression du poids et de la taille. La constellation familiale est solide, la fratrie est tolérante, les grands parents sont attentifs. Un tel enfant cheminerait tout au long des étapes de sa maturation affective et sexuelle sans traumatismes et sans névroses graves. Ensuite, fort de son intelligence, de la compréhension du monde et des relations sociales, il serait prêt à vivre une vie d’adulte épanoui, sachant gérer ses pulsions, ses sentiments et les exigences sociales.

En négatif de cette belle histoire, les personnes handicapées mentales ont rencontré des obstacles à tout moment de leur vie. Pour certains, les désordres chromosomiques, physiologiques, anatomiques ont marqué leur destin « in utero ». Pour d’autres, à la naissance ou dans la prime enfance, d’autres pathologies ont marqué un coup d’arrêt au développement psychomoteur. Et pour quelques-uns les carences relationnelles massives ont eu les mêmes effets que la maladie.

Les personnes handicapées mentales sont en fait des personnes désemparées. Situées dans un monde où elles sont minoritaires et où, par la faiblesse de leurs moyens cognitifs, elles ne peuvent revendiquer comme le ferait une minorité agissante « intelligente », elles sont l’objet du bon vouloir d’autrui dans leur relation immédiate, et du degré de tolérance sociale au sens politique. Ce qui les caractérise est donc une extrême dépendance qui les mène, de façon corrélative, à des besoins affectifs immenses. Jusqu’à ce jour, elles ont plutôt connu l’ostracisme, le rejet dans une société où la performance devient la seule reconnaissance. Evoquer leur sexualité, leur vie sentimentale résonne encore pour beaucoup comme une incongruité. Un peu comme au 19ème siècle quand on évoquait la sexualité des enfants. Pour cette population, nous imaginons d’ailleurs une espèce d’infantilisation qui la mettrait hors jeu, hors jeux amoureux tout particulièrement. Cette réaction n’est pas le fait du grand public peu préoccupé du problème.

Une analyse statistique très pertinente de Monsieur GIAMI a montré que l’on notait les mêmes réticences envers les manifestations sexuelles des déficients cognitifs auprès de leurs parents et à un moindre degré auprès des éducateurs spécialisés.

En milieu institutionnel nous avons pu observer que, quelle que soit la profondeur du handicap mental, la sexualité impulsive, neurohormonale pour les physiologues, principe de plaisir pour les psychanalystes, est toujours présente. Et rien, en dehors d’atteintes neurologiques graves, ne peut la réduire.

Quand les handicapés mentaux sont des enfants, ils bénéficient de la même tolérance presque du même regard sur la sexualité que les enfants normaux. L’enfant, dit Freud, est un pervers polymorphe, le jeune handicapé aussi. Mais il vient un temps, où l’éducation, la normalisation sociale doit apporter une régulation à cette vie instinctive. Pour trouver sa place dans le groupe humain, l’enfant puis l’adolescent doit tempérer ses tensions sexuelles et donner du sens à sa vie affective. Les lois doivent être entendues, comprises et intégrées dans une structure mentale qui agira sur le mode d’un code moral exigeant. Les individus intelligents s’accommoderont de ce surmoi et sauront gérer principe de plaisir et principe de réalité. Et l’intelligibilité du monde, sublimée dans des mécanismes de création ou de pouvoir, pourra être une forme de sexualité dégagée, en tout ou en partie, de la génitalité.

Les personnes handicapées mentales ne bénéficient pas de l’instrument cognitif qui leur permettrait d’atteindre ce très subtil équilibre entre l’affect et le désir. Pour la plupart, ils vivent dans un perpétuel abandonnisme. Leur sexualité est primitive, répétitive et peu satisfaisante. L’abandon est très souvent réel. Quand bien même ils ont reçu beaucoup d’attention, ils ne peuvent ultérieurement se consoler du statut d’infériorité que leur confère le handicap. Ils ne sont pas chez eux, ils sont en institution. Ils ont l’obligation d’une vie de groupe. Ils doivent s’accommoder de la présence non choisie d’autres handicapés. Il ne bénéficient que d’une part de l’intérêt de l’éducateur qui doit veiller au bien-être de tous. Ils investissent, parfois surinvestissent, des gens qui ne seront que brièvement présents dans leur vie. Et quand vient le temps des ébauches de vie amoureuse, des passages à l’acte sexuel, ils seront presque systématiquement en échec. Leur besoin de reconnaissance, leur besoin de normalité les amèneront à multiplier les expériences. Leur faiblesse de jugement en fera les victimes faciles des cyniques ou des pervers. Leur méconnaissance de l’hygiène, de la contraception peut leur valoir maladie et grossesse inattendue.

La réalité quotidienne de la vie affective et sexuelle en institution se décrit donc en fonction de l’âge et de l’intelligence de la personne handicapée. L’évolution de l’instinct sexuel et des affects n’est cependant pas parallèle à ce gradient intellectuel. La vie affective, c’est-à-dire le besoin de vie relationnelle chaleureuse, tolérante et gratifiante n’est absente chez aucune des personnes handicapées. Cette exigence n’est pas très éloignée de celle que tout un chacun ressent. Même les autistes parfois réputés inaffectifs sont en fait de grands blessés de l’échec de la vie relationnelle. Plus que d’autres, ils sont à réapprivoiser et doivent être éloignés des formes d’attachement archaiques à la mère. Ils sont l’exemple d’une relation apparemment riche car intense, mais pauvre car exclusive et fermée au reste du monde.

A l’exception de cet exemple extrême, nous constatons plutôt dans l’institution une avidité affective multiforme bien plus que des appétits ou des manifestations érotiques. Ces besoins affectifs intenses sont, bien entendu, la conséquence de la détresse morale et physique des personnes handicapées et de leur dépendance systématique. La sexualité est, en quelque sorte, un « luxe » que l’on ne peut envisager que si l’on est à peu près bien dans son corps et dans sa tête . Nous en faisons, nous aussi, l’expérience dans notre vie .

Les problèmes pratiques que nous souhaitons développer dans notre discussion sont de deux ordres.

En premier lieu, comment agir face aux manifestations sexuelles excessives, inappropriées, en contradiction avec les exigences de la pudeur ?

En second lieu, nous évoquerons les problèmes que suscitent la gestion des transferts de toutes sortes que nous sommes amenés à rencontrer. Transterts actifs, c’est-à-dire projections quasi amoureuses des soignés à l’égard des soignants ou parfois des soignants à l’égard des soignés. Nous évoquerons les limites et les dangers de cette forme d’investissement.

En sortant des limites institutionnelles, il faudra étendre notre réflexion au vécut « extra muros » de nos résidents, auprès de leur famille ou famille d’accueil. Nous aurons à évaluer les effets de cette intrication des expériences extérieures et intérieures. Et, toujours à l’extérieur de l’institution, nous essayerons d’analyser sans complaisance la réalité du vécu affectif et sexuel de la personne handicapée, seule ou en couple, placée dans la société non- protégée.

2. Les exigences de la pudeur

Voir, être vu et montrer, c’est bien autour du regard que se joue en grande partie notre tolérance à la vie sexuelle. Celle-ci est faite d’instincts, de stimulations neurohormonales qui parcourent le corps et aboutissent à une appétence pour un objet sexuel vécu comme attractif et désirable. La vie sexuelle n’est discrète que pour ceux qui, très socialisés, savent la dissimuler à bon escient. Mais la vie sexuelle a ses localisations apparentes dans le corps, elle a une gestuelle évidente. Et quand n’existe pas ce rideau légèrement opaque, légèrement transparent qu’est la pudeur, nous sommes heurtés, nous ne voulons pas voir trop clairement la part animale de notre sexualité, nous ne voulons pas être le témoin du désir de l’autre, nousi voulons ignorer notre propre désir.

En institution, il faut tenir compte des sentiments de pudeur des résidents. Si nous voulons obtenir un comportement pudique, il est clair que nous devons nous-mêmes respecter la pudeur des personnes handicapées lors des bains, douches ou changement de couches. Nous devons être aussi exigeants que nous le serions pour nous mêmes si nous devions subir le regard des autres. Voilà en quelques mots ce qu’il en est des préoccupations de pudeur des intervenants.

Evoquons maintenant l’impudeur de certaines personnes handicapées, et tout particulièrement celle concernant les personnes dont les fonctions cognitives sont les plus frustes (celle que l’on rencontre dans les encéphalopathies graves ou les autismes profonds). Le problème est bien souvent celui d’une masturbation frénétique qui se manifeste au vu et au su de tous, parfois pendant de longues périodes. La personne intéressce n’est en général que peu influencée par des admonestations de type moral : « ce n’est pas bien, ça ne se fait pas ». Elle ne renonce en général à son activité que quand elle est momentanément satisfaite, ou cède à des injonctions autoritaires dont la compréhension est aussi banale que "cesser de manger ou de courir" .

Dans ces situations, nous évitons que l’intéressé de surcroit ne s’exhibe. Nous l’isolons autant que possible et tentons de l’occuper avec des activités dérivatives. Pour d’autres enfants ou adolescents dont les moyens cognitifs sont de l’ordre de la débilité moyenne ou légère, nous procédons comme avec tout enfant normal en lui faisant comprendre ce qu’on attend de lui. Paradoxalement, les manifestations excessives des grands déficients sont à peu près gérables car les appétits sexuels sont réduits par les traitements neuroleptiques ou anti-épileptiques qui sont indispensables à ces personnes. Et surtout cette activité reste solitaire. L’autre n’est guère concerné en-dehors de quelques attouchements furtifs. Mais quand les adolescents, des jeunes gens ou des adultes passent à l’acte, la situation est plus délicate et l’institution doit répondre de ces comportements.

3. Responsabilités de l’institution

Nous devons être attentifs aux attentes des parents et nous devons tenir compte des normes sociales du moment, et, bien souvent, ces exigences sont contradictoires.

Ainsi, tous les travaux menés aujourd’hui-même sont sous-tendus par l’idée que la sexualité des personnes handicapées était méconnue et peu tolérée. Un plus grand « libéralisme » semble attendu. Ce n’est pas le discours que tiennent habituellement les parents. Les familles nous parlent de « prudence » de « protection » de « modération » en ce qui concerne la personne handicapée qu’elles nous confient. Des études statistiques menées auprès de nombreux parents et éducateurs montrent que ce sont ces derniers qui sont les plus tolérants face à ces problèmes. Les parents sont significativement moins tolérants en général . Ils le sont un peu plus quand il s’agit des enfants des autres .

4. A propos du « Droit à la sexualité »

Ainsi, c’est bien un droit à la sexualité qui semble être revendiqué. Il s’inscrit dans la liste des nouveaux droits concernant certains groupes de population qui en étaient jusque-là privés. I1 s’agit habituellement d’un progrès démocratique prenant en compte des situations de faiblesse ou d’exploitation. Ces droits apportent une protection nouvelle à des catégories de personnes habituellement menacées. On peut citer les droits de la femme, les droits de l’enfant, les droits des minorités ou plus généralement des droits linguistiques, culturels ou confessionnels.

Pour ce qui est du droit sexuel, nous sommes sur un terrain plus diff1cile. Si nous décidons que le droit au plaisir sexuel est un droit fondamental, il faudrait admettre toutes le formes de comportements qui permettent d’accéder à ce plaisir, y compris les comportement pervers. Il nous est plus facile d’admettre au prof1t des personnes mentalement handicapées un droit à la vie de couple se déroulant dans les meilleures conditions de vie pratique et affective . Mais il n’en est pas de même du droit au plaisir érotique. Nous ne nous l’accordons pas facilement car nous en connaissons les aléas et les conséquences. Pouvons-nous revendiquer pour les personnes mentalement handicapées comme un gain de liberté, comme la fin d’une privation ?

Pour tenter de répondre à cette question, nous pouvons nous référer à l’expérience des C.H.S., c’est-à-dire des hôpitaux psychiatriques. Au décours de la « libération sexuelle » des années 68-75, l’organisation de ces hôpitaux a été modifiée. Les hommes et les femmes qui jusque-là étaient strictement séparés ont bénéficié d’une mixité partielle ou totale selon les services. A l’heure actuelle, le personnel des H.P est plutôt désarmé face à la multiplication des passages à l’acte sexuels, où le consentement des partenaires n’est pas évident et où les divers partenaires ne constituent que rarement des couples. La gestion de la contraception, des grossesses, des maladies sexuellement transmissibles est devenue préoccupante.

Nous pouvons facilement faire le parallèle entre les malades hospitalisés et la population adulte qui se trouve dans nos institutions. Il faut y ajouter les difficultés spécifiques propres à la présence d’enfants ou d’adolescents. Pour ces derniers, le droit au plaisir sexuel ne nous paraît pas prioritaire. Plus que révéler ou amplifier leurs pulsions, nous avons à nous battre pour leur éviter d’être « victimisés » par la sexualité, car ils peuvent être victimes de leur propres pulsions mal contrôlées ou mal tolérées, victimes d’abus de toutes sortes et surtout victimes de leurs illusions dans leur attente amoureuse.

5. Aléas de la vie affective des personnes handicapées mentales

Nous évoquions au cours de notre réflexion les illusions de l’attente amoureuse chez les personnes mentalement handicapées, en âge de vivre une relation de couple. C’est bien d’amour qu’il s’agit, sous toutes ses formes et à tout moment de la vie. De la réussite ou de l’échec des interactions affectives dépendra toute l’existence de la personne handicapée. Sa santé, son ouverture d’esprit, son aptitude à vivre ou à survivre seront étroitement liées à la qualité et à la pérennité des échanges affectifs. La vie sensuelle proprement dite ne sera qu’un élément, parfois favorisant, d’une relation réussie à l’autre.

Mais il nous faut être réalistes. La vie affective des personnes mentalement handicapées s’illustre souvent par des carences criantes, des ruptures, des dispersions, des frustrations. Tous ces qualificatifs négatifs semblent bien pessimistes. Ils correspondent, hélas, à ce que nous observons au long cours, de la vie de ces personnes. Le désintérêt pour un enfant par exemple peut précéder sa naissance. Les carences de soins, d’interactions mère-enfant peuvent être précoces et aboutir à de véritables catastrophes (dépressions anaclitiques de SPITZ ). Ce désamour où désintérêt auront des conséquences, tout au long de la vie pour l’enfant. Et sa vie affective précocement et cruellement traumatisée aura bien du mal à renaître.

Toutes les situations ne sont pas aussi dramatiques. Nous observons le plus souvent des comportements de rejet de la part des parents qui prennent la forme d’un « non-dit ». L’attitude de l’entourage est alors une négligence manifeste mais niée, ou un hyperinvestissement de l’enfant destiné à neutraliser les blessures narcissiques des parents . Dans les meilleurs des cas, quand l’enfant a réellement sa place et est chéri au même titre que ses frères et soeurs, il aura à connaître l’ostracisme des autres, et sa famille ne pourra le protéger du désamour ou désintérêt social. Les cas les plus fréquents sont ceux des enfants qui auront connu des successions, parfois des kyrielles de prises en charge. Dans ces établissements, ils auront connu également une multiplicité de personnels.

Il leur faudra sans cesse investir et désinvestir cet entourage, qui change dans l’année, dans la semaine, dans la journée. Et à l’inverse, les éducateurs et autres intervenants auront rarement l’opportunité de suivre au long cours ceux qui leur sont confiés. En conséquence, chacun reste en quelque sorte sur ses gardes. Pourquoi développer des relations affectives chaleureuse alors qu’elles peuvent être à tout moment rompues ? Personne ne veut souffrir, et ceux qui ont été échaudés restent sur leur réserves. Et personne n’oublie qu’il ne doit se substituer aux parents, même à ceux qui sont déficients. Et enfin personne n’oublie les accusations qu’il peut encourir à vivre dans une trop grande proximité d’enfants et d’adolescents. Dans les meilleurs cas, quand la vie affective prend le caractère d’une vie amoureuse entre deux personnes handicapées adultes, celles-ci ne seront en fait jamais seules. Le couple constitué devra être suivi et protégé par des parents ou des tuteurs toute la vie.

6. Conclusion

Toutes ces considérations ont été développées pour faire comprendre à tous que les personnels des institutions sont à ce jour dans un mouvement destiné à favoriser au mieux toutes les formes de la vie affective de la petite enfance à la vie d’adulte.

Nous sommes bien conscients de ce mouvement de société qui va dans le sens d’un plus de bonheur pour les personne handicapées. Nous souhaitons que tout un chacun sache développer un plus d’altruisme, un plus d’humanisme et un plus d’amour pour aboutir à cet objectif .

(Auteur : Raymond Ehrhardt psychiatre 2003)
(Source :  Jeune APF Asso)

0 Comments: