Il y avait l’an dernier cinquante ans que la trisomie 21 était découverte, grâce à Jérôme Lejeune, Marthe Gautier et Raymond Turpin. Qu’en est-il aujourd’hui du soin de la maladie et des personnes malades ? De grands espoirs se profilent enfin à l’horizon. Bilan des progrès et des découvertes récentes avec le Dr Bléhaut, directeur de recherche à la fondation Jérôme Lejeune, et Pierre Roubertoux, professeur émérite de génétique et de neurosciences dans l’unité INSERM 910 de Marseille, dont un article doit bientôt paraître sur le sujet dans le scientifique American Journal of Medical Genetics.
L’espérance de vie des personnes atteintes par la trisomie 21 a presque doublé* entre 1983 et 1997 ! Qu’est-ce qui explique un changement aussi spectaculaire ?
Dr B. : La trisomie 21 s’accompagne de diverses fragilités : maladies cardiaques, digestives ou infectieuses, épilepsie, leucémie, hyperthyroïdie. Ce sont ces maladies liées à la trisomie qui ont été soignées, ce qui a permis une telle augmentation de la durée de vie des personnes trisomiques. Mais, depuis 51 ans, il n’y a eu aucun progrès ni dans le traitement de la maladie elle-même, ni dans celui du déficit intellectuel qu’elle génère.
Pr R. : C’est vrai. Il reste en outre une maladie liée importante, la démence – non pas dans le sens de la folie, mais dans son sens médical de déclin des capacités intellectuelles – que nous ne comprenons pas et qui touche nombre de trisomiques de manière précoce, dès 40 ans.
On se souvient pourtant du duo de l’acteur trisomique Pascal Duquesne avec Daniel Auteuil, et on entendait récemment Éléonore dire sa souffrance du rejet ou son plaisir à travailler : le handicap des personnes trisomiques paraît moins grand. Il n’y a eu aucun acquis dans la lutte contre la déficience intellectuelle ?
Dr B. : D’abord, il faut comprendre que le degré de handicap intellectuel dans cette maladie est très variable. Chez les personnes dites « normales », tout le monde ne rentre pas à Polytechnique, n’est-ce pas ? Chez les trisomiques, c’est pareil. Certains peuvent beaucoup, d’autres moins.
Il faut greffer à cela de réels progrès réalisés par la rééducation de la psychomotricité, par l’orthophonie qui commence parfois dès 6 mois pour que les bébés musclent leur bouche pour le langage. Ce sont des soins de stimulation, d’accompagnement.
S’y ajoutent enfin des traitements médicamenteux qui vont amoindrir la déficience intellectuelle par une voie détournée. Ainsi, l’hyperthyroïdie est un facteur aggravant du handicap mental : elle est maintenant soignée. Les personnes qui en étaient atteintes sont donc moins handicapées. Pas parce qu’on a soigné la trisomie, ni ses conséquences, mais parce qu’on a réduit une maladie qui lui est liée.
Pr R. : Je complèterais cela par un autre progrès notable, qui est lié à une meilleure connaissance de la maladie : les trisomiques sont aujourd’hui mieux respectés. On voit des instituteurs, des écoles qui ont la volonté de les intégrer dans leur classe. Lentement, les mentalités changent et leur ménagent une place. C’est très important.
N’y a-t-il donc pas d’espoir de soin de la trisomie 21 ?
Pr R. : Au contraire, il y en a plus que jamais. Laissez-moi vous raconter une anecdote. Il y a quelques années, un de mes étudiants propose un projet de recherche sur la trisomie 21. Il s’entend répondre, j’en suis témoin : « Des recherches ? À quoi bon ? On élimine les embryons atteints, voilà tout ». Cette phrase – terrible – date de 2003. À cette époque, personne – sauf quelques associations, dont principalement la Fondation Jérôme-Lejeune dont il faut saluer le rôle précurseur – ne croyait à la possibilité de soigner la trisomie 21. Alors qu’aujourd’hui, la recherche peut envisager de lutter contre la déficience mentale.
Il y a donc eu un tournant récent dans la recherche ?
Pr R. : Oui, un tournant très important, en plusieurs étapes. Cela a commencé par le séquençage complet du chromosome 21 humain en 2000. Cette découverte apportait une double bonne nouvelle : non seulement le chromosome compte relativement peu de gènes – entre 230 et 280, soit un centième de notre génome (- de gènes = - de pistes de recherches = + de chances de trouver !), mais en plus, tous ne sont pas affectés dans leur fonctionnement par le triplement du chromosome. Il devient donc possible de cibler la recherche sur ces gènes-là. La recherche sur le handicap mental lié à la trisomie 21 n’est plus utopique.
On s’est également rendu compte que ces gènes du chromosome 21 se retrouvent sur les chromosomes 10, 17 et surtout 16 de la souris. Ce qui a autorisé des expérimentations, déjà pleines d’espoir.
Pour résumer, il n’est pas possible de retirer le 3e exemplaire du chromosome 21 – qui est présent dans chaque cellule, mais on peut surveiller le fonctionnement des gènes qui lui sont associés, repérer leur dysfonctionnement et intervenir.
Dr B. : Ces découvertes ouvrent des voies importantes. Aux États-Unis, des tests ont ainsi montré, par exemple, que des souris affectées de trisomie 21 redevenaient capables de faire leur nid quand on leur administrait de la noradrénaline ! Or, la noradrénaline est utilisée chez l’homme pour soigner certains types de dépression ou la maladie d’Alzheimer.
Des études pilotes de ce type sont en cours sur différents « inhibiteurs », des agents qui luttent contre les dysfonctionnements biochimiques des gènes présents en excès. Certaines de ces études sont suffisamment avancées pour que les laboratoires pharmaceutiques commencent à s’y intéresser… pour les financer. On envisage même de passer aux tests cliniques. Tout cela ouvre plus d’espoirs que jamais.
Des espoirs de guérison ?
Dr B. : Je ne pense pas qu’on puisse envisager de guérir de la trisomie, mais on entrevoit, peut-être d’ici une dizaine d’années, comment faire reculer la maladie de l’intelligence qui lui est liée. Sachant que c’est cette déficience qui limite l’autonomie…
Pr R. : Six gènes ont été repérés. Je pense que d’ici un ou deux ans, on trouvera la protéine qui permettra de réguler leur fonctionnement.
Ce sont de vrais espoirs… que je peux illustrer par ce qui nous est arrivé, à ma femme et moi, cet été. Nous avons bavardé avec une jeune femme qui, quand elle a appris que je travaillais sur les maladies génétiques mentales m’a regardé en souriant malicieusement puis a dit : « Regardez-moi bien : vous ne remarquez rien ? ». Non, rien. Cette femme était atteinte de phénylcétonurie, une maladie génétique qu’on soigne maintenant par un régime alimentaire très strict dès la naissance. Si sa maladie n’avait pas été repérée, elle serait devenue grabataire et intellectuellement déficiente; elle venait d’obtenir son agrégation d’histoire !
Et ce ne sont pas les seuls les espoirs : les progrès d’imagerie du cerveau ou les banques de cerveaux autorisant la recherche ouvrent de multiples voies de progrès. Enfin, les découvertes que l’on fait sur la trisomie 21 se sont déjà avérées utiles pour d’autres maladies neurodégénératives, comme la maladie d’Alzheimer
Est-il envisageable que l’État finance des recherches pour le soin de la trisomie ?
Pr R : Actuellement, les grands organismes de recherche (INSERM, CNRS**, universités) favorisent les recherches sur le dépistage de la maladie, les aspects génétiques ou psychologiques des trisomiques, mais de manière insuffisamment coordonnée. Il serait souhaitable – et c’est maintenant envisageable – que la trisomie bénéficie en France des mêmes structures que le cancer ou la maladie d’Alzheimer. Il ne manque que la volonté politique pour ce faire !
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*L’espérance de vie des personnes trisomiques est passée de 25 à 49 ans.
**Le Pr Roubertoux a dirigé pendant 21 ans un laboratoire soutenu par le CNRS. La trisomie 21 en quelques points
- Touche 1 enfant sur 650 à 800, suivant les sources
- C’est la cause la plus fréquente de déficit intellectuel d’origine génétique
- Un pourcentage élevé des fœtus dépistés porteurs est avorté. Ce pourcentage varie selon les pays. Il est particulièrement élevé en France.
- Le handicap intellectuel est très variable suivant les personnes.
Il se traduit le plus souvent par une plus grande lenteur, des difficultés à acquérir le langage et à mémoriser tandis que les capacités à effectuer des tâches non-verbales, ou à se repérer dans l’espace sont relativement préservées.
- On considère habituellement que le QI des personnes atteintes ne dépasse pas celui d’un enfant de 8 à 10 ans, mais les tests de QI sont basés sur une bonne maîtrise du langage et des réactions rapides, ce qui empêche en l’occurrence une analyse fine des capacités intellectuelles. Tout ceci résulte de moyennes avec de grandes différences entre personnes.
(Source textes et image : Sybille d'Oiron - Famillechretienne.fr)
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