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Richard POLLAK : « Bruno Bettelheim ou la fabrication d’un mythe ».

Une pensée pour toutes les mamans d'enfant souffrant de troubles autistiques et qui un jour ont été confrontées à cette thèse dévastatrice.

Quelques extraits de cet excellent livre de démystification d’un des grands personnages-gourous de la psychanalyse

Page 289-290 :

« Peu de sujet préoccupent tant Bettelheim que l’allaitement maternel et ce thème resurgit sans cesse dans La Forteresse vide. Donner le sein, affirme-t-il, est fondamental pour que le nouveau-né parvienne à adapter sa vie. En refusant, une mère fait courir un risque psychologique catastrophique à son enfant, entre autres la schizophrénie au l’autisme. Il en apporte la preuve à chaque page. Comme n’importe quel enfant qui s’accroche au sein de sa mère, Joey doit lui-même se brancher avant de pouvoir fonctionner.

Bettelheim rapporte que Marcia aime s’étendre sur son lit avec un gros ballon léger ou une baudruche qui touche sa bouche et il ajoute en note de bas de page que «l’on peut à peine se promener dans la rue sans voir un enfant manipuler tendrement un ballon – sphère parfaite et objet souvent fait de ce qui fut de la peau». Marcia jouait également avec un biberon qu’elle appelait «Madame», appellation qui, d’après Bettelheim, signifie – «avec un peu d’imagination» – comme ayant de la poitrine. Lorsqu’on demande à Marcia pourquoi elle veut tant briser les néons circulaires fixés au plafond, elle répond : «Baby needs breakfast» («Bébé a besoin de petit déjeuner»). La phrase n’a aucun sens, précise Bettelheim, jusqu’à ce que l’enfant se mette à dire «break breast» («casse sein») au lieu de «breakfast» (petit déjeuner). Il explique alors que l’expression, «break breast» «vient sans doute plus facilement à l’esprit du bébé nourri avec un biberon cassable que de celui nourri au sein». Dans les installations lumineuses, un certain nombre de ses parents voient une représentation de la poitrine, poursuit Bettelheim, ajoutant entre parenthèses que beaucoup d’autres font le même rapprochement avec les phares des voitures. Laurie a été un de ces petits insectes fous pris au piège de l’aveuglante lumière «éternellement prise entre son désir tout-puissant du bon sein (la bonne mère) et son désespoir car, malgré tous ses efforts, il semblait qu’il n’y avait là rien pour elle, pas même un «mauvais sein», mais simplement «un néant, un vide». Cependant, Bettelheim concède que ce n’est qu’une interprétation spéculative, mais il ne résiste pas y apporter plus de poids reproduisant trois dessins de Laurie, dont il dit qu’ils représentent «probablement» des seins.

Des années plus tard, Donna Williams tombe sur les desseins de Laurie dans La forteresse vide. Autistique elle aussi, elle a progressé au point d’être capable à l’âge de vingt-cinq ans d’écrire son autobiographie, « Quelqu’un, quelque part ». Dans son livre, Donna parle des dessins dont elle ne cessait de recouvrir les pages de son journal : un carré blanc à l’intérieur d’un carré noir, entourés par la blancheur crue de la feuille de papier.

Lorsqu’elle voit le graphisme à peu près similaire des dessins de Laurie et lit l’interprétation du pseudo-bon-mauvais sein de Bettelheim, elle «se tord de rire»…D’après elle, les dessins de la fillette ressemblent aux siens ; ils sont la représentation de leur lutte terrifiante et obscure pour pénétrer un monde non autistique. Il est impossible de prouver qui, de Donna Williams ou de Bettelheim, à tort ou a raison ; mais Donna souligne que les interprétations freudiennes sont souvent davantage le fruit de l’imagination des thérapeutes ou de ceux de l’autre «monde», que celui des personnes autistiques

Cette observation s’applique bien à Bettelheim. Pour comprendre le comportement perturbé de tel ou tel enfant, il ne cesse de conseiller à son personnel d’éviter les spécialistes et les lectures sur le sujet. Bettelheim préfère leur apprendre à se mettre à la place de l’enfant et à imaginer ce qui peut bien le rendre assez malheureux pour agir si étrangement. Pour autant, Bettelheim lui-même écrit et se comporte «comme s’il était en ligne directe avec la Vérité» et écrit La Forteresse vide avec de l’encre freudienne, porté par l’obsession du sein maternel. Aux yeux de Donna Williams, cette fixation reflète l’arrogance culturelle et narcissique propre à la pensée psychanalytique.

Page 291 :

« Il [Bettelheim] parlait beaucoup de jeux de mots du psychisme et de leur interprétation. C’était éblouissant. Maintenant, je fais cela tous les jours ; c’est drôle, c’est facile, mais il n’y a aucune profondeur là-dedans». Et rien surtout d’intéressant pour l’autisme ! Cette accession à la métaphore et au symbolisme que Bettelheim attribue à Joey et Marci est précisément une capacité très défaillante chez les personnes autistiques, qui tendent à tout prendre au pied de la lettre et ont un mode de pensée presque toujours concret

Page 294 :

 « Les diagnostics à l’emporte-pièce de Bettelheim sont souvent sévères, mais c’est la seule chose qui les distingue de ceux de la psychiatrie de l’époque. Dans Psychoses of Chilhood, une revue de la littérature publiée en 1979, Barbara Fish et Edward Ritvo expliquent qu’à l’époque on diagnostiquait l’autisme sur des critères sans doute très insuffisants aux États-Unis comme en Angleterre. Des enfants profondément attardés, souffrant avant tout de lésions cérébrales étaient diagnostiqués autistes. Pour Fish et Ritvo, la définition de l’autisme proposée par Kanner en 1940 représente une avancée importante car elle s’appuie sur un ensemble de symptômes bien distincts ; mais, selon Kanner lui-même, le concept d’autisme infantile précoce «est galvaudé par certains jusqu’à le priver de sa spécificité, le terme servant alors de pseudo-diagnostic fourre-tout et s’appliquant dans des conditions sans rapport les unes autres, seule l’étiologie psychodynamique [psychanalytique] ayant de l’importance.

Pages 298-300

 «(…) À la fin de l’année 1969, «La Forteresse vide» [Le livre «culte» de Bettelheim sur l'autisme infantile] s’est déjà vendue à plus de 15 000 exemplaires, chiffre très respectable à l’époque, surtout pour un livre abordant un sujet aussi décourageant. Des centaines de parents d’enfants autistiques au désespoir se ruent su l’ouvrage, dans l’espoir que ce thérapeute viennois dont la mention «Dr» précède souvent le nom, cet auteur si souvent loué pour ses «victoires spectaculaires», va enfin les aider à comprendre et résoudre le terrible isolement dans lequel s’enferment leurs enfants et les sortir de l’anéantissement dont ils sont si souvent victimes. Mais au lieu de cela, ils découvrent un torrent de reproches : ils sont responsables de l’autisme de leurs enfants pour les avoir rejetés en s’étant comportés comme des monstres, des bêtes sauvages, comme des rois infanticides shakespeariens ou les gardes SS de camps de concentration. Sans avoir d’ailleurs forcément besoin de comparaison, Bettelheim affirme sans détour : «Tout au long de ce livre, je soutiens que le facteur qui précipite l’enfant dans l’autisme infantile est le désir de ses parents qu’il n’existe pas». Ainsi, Joey est «tout simplement est complètement ignoré» par sa mère. De même, à l’âge de six semaines, Marcia est livrée aux uniques soins d’une bonne d’enfant ; plus tard, lorsque l’enfant commence à émettre des sons bruyants, semblables à des cris d’animaux, la mère lui donne une fessée et l’enfant cesse de parler. Les propos des parents de Marcia à l’arrivée de leur fille à l’École laissent «raisonnablement supposer» qu’ils désirent que l’enfant n’existe pas, et le fait qu’elle arrive à survivre malgré tout est bien «la pire façon de se venger de ses parents». Ce n’est qu’au terme de ces quelques cinq cents pages de règlement de compte que Bettelheim remarque «qu’il ne sert à rien de culpabiliser les parents d’un enfant autistique en les rendant responsables de sa maladie». Pour Peter Gay [l'un des plus ardents hagiographes fanatiques de la psychanalyse], cette petite phrase souligne remarquablement à quel point l’auteur est dénué d’agressivité et d’égocentrisme ; quant à Robert Coles, il estime que Bettelheim mérite tous les honneurs en refusant de dépeindre les mères comme rejetantes ou psychogènes

Aux yeux de Molly Finn, dont la fille autistique est âgée de onze ans lors de la sortie de La Forteresse vide, ces quelques mots viennent confirmer ce qu’elle pense déjà : ce Bettelheim est un charlatan.

Molly Finn est une jeune New-Yorkaise de vingt-cinq ans, mariée à William Esty, qui prépare sa maîtrise de philosophie au New School for Social Research quand elle met au monde, en 1956, une petite fille baptisée Abby. Très rapidement l’enfant présente des signes précoces d’éveil. Elle a l’oreille musicale et dès le plus jeune âge possède un vocabulaire étendu ; elle le perd malheureusement tout aussi vite et, vers l’âge de trois ans, cesse de parler. Des symptômes manifestes d’autisme apparaissent alors : crises violentes accompagnées de comportements rigidifiés. Les années suivantes, aucun traitement ne semble améliorer son état. À onze ans, sa mère la place dans un foyer Camphill. Il s’agit d’un mouvement lancé par un disciple de Rudolf Steiner, Karl Köning, et qui a créé des foyers d’accueil, souvent à la campagne, pour les handicapés mentaux adultes. Comme Bettelheim, ce pédiatre et pédagogue autrichien a fui le régime nazi en 1939. Le premier foyer Camphill fut créé sur un domaine d’une quinzaine d’hectares à Aberdeen en Écosse et il en existe à présent plus de quatre-vingt-dix à travers le monde, don sept en Amérique du Nord. Abby, qui maintenant atteint la quarantaine et parle toujours très peu, vit à Camphill Village, une communauté agricole indépendante de trois hectares dans le nord de l’État de New York. En compagnie de quelque deux cents personnes dont environ la moitié sont des handicapés mentaux, elle mène une vie intéressanteAdministratrice de Camphill, Molly Finn voit sa fille régulièrement. Elle explique que l’hostilité affichée de Bettelheim à l’encontre des parents qui manifestaient le désir de rendre visite à leurs enfants l’a définitivement convaincue de ne pas placer sa fille à l’École orthogénique [le centre créé, dirigé et animé par Bettelheim]. Lorsque la forteresse vide paraît, Abby vient de rejoindre la communauté Camphill. Par curiosité, sa mère se plonge dans la lecture de l’ouvrage et ne tarde pas à prendre des notes rageuses sur ces prétendues succès et ce vocabulaire scientifique qu’elle trouve ridicule. Lorsque après plus de quatre cents pages elle lit qu’il ne sert à rien qu’elle se sente coupable, Molly crie au scandale : «Ceux qui souffriront le plus du livre de Bettelheim sont les parents et ces enfants-là. Après leur avoir répété au long de centaines de pages qu’ils sont responsables de cette affreuse maladie, Bettelheim leur jette un os en pâture…Il doit faire partie de ceux qui pensent que ces pauvres gens ne sont pas humains…S’il imagine que les parents ne se sentiront pas coupables après ce qu’il a dit…».La colère de Molly est très représentative de la réaction qui secoue les parents d’enfants autistiques lorsqu’ils découvrent le livre de Bettelheim. «Il a vraiment planté les graines du mal, commente Josh Greenfeld, et il n’y a rien de pire qu’un intellectuel méchant, surtout lorsqu’il se lance des fleurs. Au fur et à mesure que sa réputation grandissait, j’en suis arrivé à le haïr, à vraiment le haïr. Il n’était pas le prince philosophe et poète qu’on croyait. À mes yeux, Bettelheim n’était qu’un salaud d’escroc ! »

Page 305 :

«(…) Mais en dépit du point de vue de Leo Kanner qui considère l’autisme comme une entité clinique unique, il [Rimland] s’aperçoit que beaucoup de professionnels, dont Bettelheim, utilisent souvent le terme d’autisme comme une alternative à l’expression «schizophrénie infantile» et l’appliquent parfois à des enfants dont les comportements ne correspondent que vaguement à la définition spécifique de Kanner. Mais ce qui dérange le plus Rimland, c’est la conviction largement répandue que l’autisme est un trouble d’origine psychologique. Lors de ses études universitaires, il a été préparé à cette opinion, mais à présent, tout comme Molly Finn, les Greenfeld, les Barron, les Park et des milliers de familles concernées, Rimland estime que cela n’a aucun sens. «Je me rappelais la manière dont Mark hurlai à la nursery, avant même sa sortie de l’hôpital et je me demandais comment des professionnels aussi brillants que tous ces psychiatres, ces neurologues, ces pédiatres et ces psychologues pouvaient être si convaincus que l’autisme était la conséquence d’un mauvais maternage plutôt que celle d’un facteur biologique inconnu.
Pendant quatre ans, tout en travaillant au laboratoire de la marine et en aidant sa femme à élever leur enfant, Bernard Rimland continue à lire et à prendre des notes ; puis il se met également à écrire et, en 1964, fait publier Infantile Autism : The Syndrome an Its Implications for a Neural Theory of Behavior («L’autisme infantile : syndrome et implications pour une théorie neuronale du comportement»).

En 215 pages d’une prose circonspecte, rédigée en totalité à partir d’une biographie soigneusement sélectionnée de plus de 450 titres, Rimland offre un recueil complet de la littérature traitant de l’autisme et des sujets apparentés. Afin de respecter les critères d’objectivité scientifique, l’étude évite tout récit pathétique de cas. En conclusion de son enquête, Rimland avance qu’aucune preuve sérieuse ne peut démontrer le mauvais maternage ou toute autre raison environnementale comme facteur déclenchant de l’autisme et soutient qu’admettre une telle supposition est «non seulement sans fondement, mais très pernicieux. »

Dans ses investigations, Rimland découvre également des recherches significatives suggérant que l’autisme est une atteinte organique. Avec prudence, il explique qu’une zone minuscule mais néanmoins très complexe de cellules nerveuses du tronc cérébral, située dans la formation réticulée, pourrait être une des causes de la pathologie. 
(Source : Anti-Freud Anti-PsyK)

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