Le Collectif des amis d’Eléonore a souhaité faire une étude sur la perception de la trisomie 21 et donner pour la première fois la parole aux personnes handicapées elles-mêmes. Trop souvent les personnes trisomiques ont le statut de sujets de discussion. Nous avons voulu qu’elles deviennent acteurs du débat. Ignorer leur avis était déjà une mise à l’écart : admettre leur capacité de s’exprimer sur leur propre vie est un pas de reconnaissance. Et il était devenu urgent de connaître leur avis car l’enquête grand public révèle que 82% des personnes sondées n’ont pas de personne trisomique dans leur entourage, familial, professionnel, voisinage. Elles n’en ont que des idées reçues. Si certaines réponses bousculent des certitudes, la confrontation des deux enquêtes révèle des angles morts mais aussi des courants porteurs.
Perception de la trisomie
56 % des sondés considèrent que la trisomie est une maladie qui est difficile à porter mais qui n’empêche pas de vivre sa vie. Ce taux passe à 62 % pour les personnes ayant un enfant trisomique dans leur entourage. Le fait que cette maladie entraîne des différences physiques ne vient qu’en dernière position avec seulement 13 % des réponses. Nous y voyons un signe positif d’accueil car ces chiffres montrent que notre regard peut atteindre l’autre malgré son apparence.
Trisomique et heureux : A l’unanimité les personnes trisomiques affirment « je suis heureux »
Au coeur de l’étude la question du bonheur : 85 % des répondants grand public pensent que les personnes trisomiques peuvent être heureuses «comme tout le monde» (27%) ou «à sa façon» (58%). 96 % pensent que le plus important pour une personne trisomique est « d’être aimée comme elle est », avant même d’être en bonne santé ou d’avoir des amis ou une famille. 49% estiment que le regard des autres est ce qui blesse le plus une personne trisomique.
Qu’en disent les personnes trisomiques ? Toutes les personnes trisomiques interrogées affirment « « je suis heureux » et le plus souvent leur bonheur est lié à l’amour reçu et partagé : « quand je suis avec ma famille », « avec mes amis ». Derrière certaines réponses, c’est le bonheur de vivre qui est affirmé sans détour : « Pour vous être heureux c’est quoi ? Etre un homme ». « Quand êtes-vous le plus heureux ? Tout le temps. » Ils évoquent un bonheur inconditionnel, mais sans naïveté car à la question : « pour vous c’est quoi la trisomie 21 ? » beaucoup répondent : « maladie, un chromosome en plus, affronter le regard des autres, un truc dur » Et quand on leur demande ce qu’il est urgent de faire pour les aider, la plupart répondent « faire que les gens nous aiment comme nous sommes », bien avant améliorer l’accès à une vie ‘normale’ (école, discothèque) ou même de changer le regard des gens. Ils nous parlent d’accueil, d’amour, de joie de vivre.
La grande majorité des interviewés partage donc la même certitude : les personnes trisomiques sont heureuses, et le plus important pour elles est d’être aimées comme elles sont. La mécanique du rejet : 85 % pensent que le dépistage incite à faire une IMG.
Pourtant, les chiffres du dépistage prénatal nous offrent une autre perception des choses. En France 96 % des enfants trisomiques dépistés sont avortés. Comment comprendre ? Longtemps l’argument du bonheur a été brandi pour expliquer le dépistage : « une personne trisomique ne peut pas être heureuse, elle vivra un cauchemar ». Comme si les personnes trisomiques étaient condamnées au bonheur pour pouvoir vivre. Or, elles sont heureuses, elles le disent, et le public en est convaincu à 85 %. Nous avons donc voulu poser la question lors de l’enquête : « pensez-vous que le dépistage de la trisomie 21 incite les parents à ne pas garder un enfant susceptible d’être atteint de cette maladie ? »
La réponse est sans ambiguïté : 85 % pensent que le dépistage incite les parents à faire une IMG. Interrogés sur les causes qui leur paraissent influencer le plus les parents à ne pas garder l’enfant, 28% des personnes interviewées citent : « les contraintes d’organisation dans la vie de tous les jours», puis « la peur et l’ignorance sur cette maladie » (24 %). Seuls 22% évoquent un « choix libre
des parents ». Il en ressort que la majorité des IMG d’enfants trisomiques se feraient parce que les parents n’ont pas le choix.
La recherche sur la trisomie 21 : une nécessité pour 97 % des interrogés
En pratique, la seule proposition faite aux parents, c’est le dépistage et le diagnostic prénatal. Or, à l’occasion de la révision de la loi de bioéthique, le bilan des Etats généraux, le Conseil d’Etat et le Conseil Consultatif National d’Ethique ont proposé une alternative : l’information sur la maladie, l’accueil des personnes atteintes de trisomie 21 et la recherche pour traiter les malades. Nous avons donc posé cette question dans notre enquête : l’Etat doit-il soutenir la recherche ? 76 % affirment que conditionner le droit à la vie en fonction du nombre de chromosomes ou de l’épaisseur de la nuque est une discrimination. Concernant l’aide que l’Etat pourrait apporter, les réponses sont très claires : 53 % des personnes interviewées considèrent que c’est une discrimination que l’Etat ne soutienne pas la recherche d’un traitement pour la trisomie et 97 % affirment que l’Etat doit intervenir financièrement dans la recherche sur la trisomie 21.
Conclusion : changer notre regard
« Nous avons le droit au bonheur ! ». C’est par ces mots qu’Eléonore exprime son désir de prendre sa place dans la société et cette enquête confirme qu’elle n’est pas la seule. Le Collectif publie cette
étude avec l’espoir de contribuer à changer le regard de la société sur les personnes porteuses d’un chromosome supplémentaire, comme Eléonore. Cette enquête nous interroge sur notre capacité à atteindre l’autre au-delà de son apparence, ses qualités, son ‘look’, sa grâce. Si Eléonore n’avait pas ce charisme, ces lunettes branchées, cette façon de vous faire fondre par une réplique ensoleillée, serait-elle moins digne d’être aimée ? Si elle n’était pas heureuse serait-elle moins aimable ? Cette étude nous indique seulement que les personnes trisomiques ont envie de vivre, d’être soulagées de leurs maux, aimées comme elles sont, pour ce qu’elles sont, comme tout le monde. A nous de leur laisser la place à laquelle elles ont droit. Notre regard, dès lors qu’il cherche à évaluer l’autre conditionne notre respect. Notre façon d’envisager l’autre n’est alors qu’une façon de le dé-visager. Porter sur l’autre un regard respectueux c’est d’abord le voir dans ce qu’il est : un être humain. « Comment dépasser la disgrâce du corps handicapé pour accueillir l’autre tel qu’il est ? »* L’enjeu est d’atteindre l’autre malgré ses faiblesses et ses différences. D’où la violence pour les personnes trisomiques de la stigmatisation de leur maladie par le DPI ou le DPN. D’où l’urgence pour notre société de trouver une solution véritablement digne de notre humanité. D’où l’extrême vigilance du Collectif des Amis d’Eléonore lors des débats sur le projet de loi de bioéthique.
* Handicap : pour une révolution du regard – Danielle Moyse, chercheuse associée à l’IRIS - Institut de Recherche
(Source : Handirect)
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