La crise fait émerger de nouveaux travailleurs handicapés
De plus en plus, les centres d’aide par le travail destinés aux adultes handicapés sont sollicités par des personnes ayant des problèmes sociaux et/ou psychiatriques.
Dans les années 1970, tout un mouvement s’est amorcé pour favoriser l’accès des adultes handicapés mentaux au travail en milieu ordinaire. Des « passerelles » ont été créées. La loi de 2005 sur le handicap a renforcé ce processus en créant un contrat de travail spécifique. Aujourd’hui, tous ces efforts sont remis en cause. Car avec la crise et les mutations du travail, on assiste à un nouveau phénomène, inverse : l’arrivée dans les centres destinés aux adultes handicapés de personnes malmenées par la vie.
Marie-Ange habite Saumur. Elle n’a que 41 ans, mais ses cheveux virent déjà au poivre et sel. Pendant quelque temps, elle a vécu de petits boulots en maisons de retraite, puis comme aide-ménagère à domicile. Puis elle a « fait une dépression ». À partir de là, plus rien n’a marché. « J’ai commencé des formations pour travailler dans la petite enfance mais ça n’a pas abouti. » Alors elle a cherché dans le milieu « protégé ».
Le travail dit « protégé » s’adresse aux personnes reconnues comme handicapées. Il s’exerce dans des structures spécialisées, les établissements et services d’aide par le travail (Esat). Marie-Ange a fait un stage d’essai dans l’Esat « Les Ateliers de l’Europe », à Tours, au conditionnement (mise sous plis, fabrication de présentoirs, etc). Essai concluant. La jeune femme a donc déposé un dossier à la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), formalité indispensable. Depuis, elle attend et vit dans l’espoir d’être acceptée ici.
De plus en plus nombreux à frapper aux portes des centres de travail protégé
Rechercher du travail en milieu « ordinaire » ? Marie-Ange n’y pense même pas. « J’ai essayé l’entreprise adaptée (NDLR : entreprise comme une autre mais ayant une aide de l’État pour pouvoir accueillir des handicapés), raconte-t-elle. Mais je n’arrivais pas à suivre le rythme, c’était trop rapide pour moi. »
De quoi souffre Marie-Ange ? Sans doute de petits déficits. Elle travaille lentement, n’a pas beaucoup d’initiative. Mais cela ne l’a pas empêchée de s’occuper de personnes âgées. Des personnes comme elles, il y en a beaucoup. Et aujourd’hui, elles sont de plus en plus nombreuses à frapper aux portes des centres de travail protégé, affirme Frédéric Chavelet.
Depuis un an, cet ancien chef d’entreprise venu du privé dirige l’Esat des Ateliers de l’Europe, à Tours. Géré par une association, l’Esat emploie 85 travailleurs handicapés de 18 à 57 ans à l’entretien d’espaces verts ou dans l’un de ses ateliers (menuiserie, conditionnement et imprimerie).
«Il avait besoin d’être entouré»
« Traditionnellement, raconte Frédéric Chavelet, nos établissements recevaient des personnes ayant une déficience intellectuelle légère ou moyenne qui avaient suivi le parcours handicapé : enfance en établissement spécialisé, puis orientation professionnelle vers un service d’aide par le travail. Mais depuis quelque temps, on assiste à une évolution inquiétante : les gens qui s’adressent à nous sont souvent en situation de handicap “social”. Ce sont des exclus du milieu ordinaire de travail, des gens en fin de droits après des parcours chaotiques, chômeurs de longue durée, jeunes sans qualification, etc. On a même reçu récemment un homme, la quarantaine, en situation d’échec professionnel, adressé par Pôle emploi : il nous a demandé quelles étaient les conditions de reprise de son ancienneté professionnelle chez nous ! Visiblement, il n’avait pas compris où il était… »
Signe de temps de crise : aujourd’hui, les accrocs dans les trajectoires professionnelles se paient cher. Et sont parfois irrattrapables. Jean-Noël, 54 ans, belle tête, sourire franc a travaillé vingt-deux ans dans le bâtiment. « J’ai tout fait : plâtrier, grutier, jointeur… j’ai même été un an à mon compte. J’ai été marié, puis divorcé, et là je suis tombé en dépression et je suis arrivé ici, à l’atelier bois. Ça m’a fait drôle… »
Comment expliquer sa présence ici ? « Il avait besoin d’être entouré », explique Martine Leblanc, la responsable des stages insertion. Jean-Noël est toujours suivi à l’hôpital de jour. Il est ici jusqu’à la retraite.
Une montée en puissance du handicap psychique
Marguerite, une boute-en-train résolue de 57 ans, a roulé sa bosse elle aussi. « En 1975, je m’occupais de personnes âgées. Puis j’ai fait une dépression. Alors je suis allée en entreprise adaptée. J’ai été licenciée. Alors je suis venue là… » Marguerite est fragile, bien sûr. Mais avant, avec ses moyens, elle s’était fait une place dans la vie « ordinaire ». Aujourd’hui, « ces personnes ne peuvent plus s’intégrer car le niveau d’exigence des employeurs a monté », constate Martine Leblanc.
Frédéric Chavelet nous montre une compilation de CV : une vingtaine de demandes pour travailler en Esat reçues en l’espace de seulement deux mois. Parmi elles, 12 « parcours atypiques » : « homme 43 ans, CAP de métallier-serrurier, alternance de contrats de courte durée en CES, en intérim, puis en entreprises adaptées » ; « homme 32 ans, pas de diplôme, pas d’expérience, est resté cinq ans sans emploi, souhaite reprendre une activité » ; « femme 21 ans, BEP hôtellerie-restauration, a travaillé comme aide à domicile, agent de restauration, femme de ménage, souhaite être aide de cuisine » ; « homme 40 ans, BEP commerce et Bafa, a travaillé comme animateur sportif et plongeur-serveur, peu d’expérience », etc..
Cette tendance lourde est confirmée par Thierry Boulissière, à la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) : « Nous avons adressé un questionnaire aux 1331 Esat. Plus de 600 nous ont répondu. Même si les personnes ayant une déficience intellectuelle représentent encore deux tiers des travailleurs présents, on note en particulier une montée en puissance du handicap psychique, qui concernerait aujourd’hui près d’un usager sur cinq en tant que handicap principal. »
Le constat est inquiétant à plus d’un titre. « Ceux qui arrivent chez nous à 40-45 ans vont y rester jusqu’à la retraite, ils n’ont pas d’avenir », déplore Frédéric Chavelet. Du coup, tout le système est grippé. Les personnes vieillissantes, dont la place serait plutôt en foyer de vie, restent dans les Esat. La liste d’attente pour ceux-ci s’allonge – elle se monte à 13 000 personnes en France, pour 116 000 accueillies. Le beau projet voulant que les personnes handicapées soient de plus en plus dans le main stream, le « courant principal », est pour partie remis à des jours meilleurs.
Source : Marianne GOMEZ, http://www.la-croix.com/) - (Avertissement)
2 Comments:
Cette situation est à rapprocher des nombreuses demandes d' attribution d 'AAH déposées désormais par ces personnes touchées par le "handicap social". Les MDPH ont donc à se prononcer. Je ne suis pas certain, au vu des informations recueillies, que dans ce domaine comme dans d 'autres , elles apportent toutes la même réponse.
Quoi qu 'il en soit il ne faut pas oublier non plus qu' une entrée en ESAT,comme du reste une sortie (fin de prise en charge décidée par le Directeur par ex.) ne peut se faire sans la décision favorable de la MDPH.
Sans bien évidemment chercher à exclure la possibilité d 'entrée en ESAT pour les personnes citées dans l 'article , il est important que leur demande d' orientation soit examinée avec la plus grande attention en CDAPH.
Un mot complémentaire pour souligner que ce constat peut faire craindre que , pour l 'admission en ESAT ,certains directeurs d' établissements soient tentés de privilégier l 'accueil de personnes plus "productives" au détriment de personnes handicapées dont le profil correspond parfaitement au travail en ESAT.
Peut être va t on considérer mes craintes non fondées. Tant mieux si c'est la réalité.
En tout cas une association d'usagers doit, me semble t il conserver cette éventualité en mémoire et se montrer vigilante.
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